Des relations franco-vietnamiennes en quête de renouveau…

40ème anniversaire de la reprise des relations diplomatiques entre la France et le Vietnam

18 mars 2013

L’histoire de la France est intimement liée à celle du Vietnam malgré l’immense distance qui sépare les deux pays. Annexée durant le Second Empire, dans le cadre de la Cochinchine d’alors, avant d’être intégré à l’Indochine française, le Vietnam entretient avec la France une histoire passionnelle complexe, parsemée d’épreuves traumatisantes et de preuves de liens profonds, noués dans les tréfonds de la mémoire entrelacée des peuples français et vietnamien. Car, au-delà de sa dimension étatique et officielle, l’histoire franco-vietnamienne, qui s’écrit au quotidien à travers la mixité des couples, les brassages et les amitiés, tient lieu aussi de creuset de valeurs partagées, notamment dans l’affirmation des principes fondamentaux d’indépendance et de souveraineté : la formule du président Hô Chi Minh « Rien n’est plus précieux que l’indépendance et la liberté » résonne en écho aux paroles du général de Gaulle, le 22 juin 1940 : « Vive la France, libre, dans l’honneur et l’indépendance ! »

Parmi les nations de son ancien empire, le Vietnam est probablement celle avec laquelle la France entretient la relation la plus apaisée et la plus féconde. Le bilatéralisme franco-vietnamien ne pâtit pas des symptômes d’inconstance et de cyclothymie qui caractérisent d’ordinaire les relations des nations colonisées à leur ancienne puissance tutélaire. Nous sommes loin des sautes d’humeur ou des « coups de gueule » qui enveniment de façon chronique les relations franco-algériennes. Se comportant d’égal à égal, Paris et Hanoi, qui célèbrent le quarantième anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques, ont fondé leur partenariat sur un pragmatisme réciproque, chacune des deux capitales s’employant à tirer bénéfice de la position stratégique de l’autre. Tête de pont pour le Vietnam au sein de l’Union européenne (UE), la France escompte de celui-ci qu’il lui ouvre les portes du marché asiatique via l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). En dépit de cette volonté mutuelle d’équilibre, le rapport de force semble aujourd’hui plutôt favorable au Vietnam dont l’appartenance au marché asiatique florissant procure de sérieux atouts. Fort d’une position clé et d’un taux de croissance avoisinant les 6%, parmi les vingt-cinq premiers du monde, l’ancienne colonie française entend peser lourd dans la négociation, tandis que la France, « amoindrie » par la crise économique et la politique d’austérité imposée par Bruxelles à l’échelle de tous les Etats membres de l’UE, doit redoubler d’efforts pour « mettre en valeur le savoir-faire et le potentiel des entreprises françaises » comme l’a dernièrement indiqué le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius. Face aux changements de la donne internationale, le bilatéralisme franco-vietnamien suppose une lecture plus pragmatique qui tienne compte des mutations géopolitiques mondiales à l’œuvre, tant à l’échelle politique, économique que culturel.

Pragmatisme diplomatique et bilatéralismes intenses

La France a joué un rôle actif dans le soutien du Doi Moi (renouveau), la politique d’ouverture graduelle de l’économie aux mécanismes du marché et aux échanges extérieurs, initiée en 1986 à la faveur du VIe congrès du parti communiste vietnamien. Son concours, le plus explicite qu’ait osé apporter un Etat du bloc de l’Ouest dans un contexte encore marqué par les clivages de la guerre froide, a été déterminant dans l’affirmation du Vietnam sur la scène internationale. Fort de son appui, il a obtenu un allégement substantiel de sa dette, qui lui a permis son remboursement intégral quelques années plus tard. Grâce à la diplomatie française, il a signé en juillet 1995 un accord-cadre de coopération avec l’UE.
Cette normalisation spectaculaire des relations franco-vietnamiennes s’est concrétisée par des rencontres au plus haut niveau. Après la visite historique du président François Mitterrand en 1993, le président Jacques Chirac a participé au Sommet de la Francophonie au Vietnam en 1997, avant une visite d’Etat en 2004 à Hanoï où il s’est posé en chantre de la « diversité culturelle ». Si du côté vietnamien aucun chef d’Etat n’a foulé le sol français, des figures vietnamiennes de premier plan ont effectué des visites officielles à Paris. C’est notamment le cas du secrétaire général du Parti communiste vietnamien Nong Duc Manh, en juin 2005 et du Premier ministre Nguyen Tan Dung en octobre 2007.
Si le 40e anniversaire des relations franco-vietnamiennes, placé sous le signe de « l’année du Vietnam en France » et de « l’année de la France au Vietnam », apparaît comme l’occasion d’insuffler un nouvel élan au partenariat franco-vietnamien, toujours est-il que dans les faits Paris et Hanoi ne semblent pas donner à l’événement l’importance que d’aucuns s’ingénient à lui donner. Les festivités débutées dans la capitale vietnamienne le 25 janvier sont passées quasi inaperçues. Du côté français, aucun voyage officiel au Vietnam n’est à l’ordre du jour, alors que le président François Hollande s’apprête à effectuer une visite en Chine dans quelques jours.

Un marché économique florissant, insuffisamment investi par le patronat hexagonal

Fort d’un taux de croissance de près de 6 % et d’un PIB multiplié par trois en l’intervalle de dix ans, l’économie vietnamienne compte parmi les plus dynamiques d’Asie du Sud-est et les plus prospères du monde. Malgré cet état de fait, les entrepreneurs français affichent une certaine frilosité à investir au Vietnam. Devancée par les États-Unis, le Canada et quatre pays asiatiques (Singapour, Taïwan, la Corée du Sud et le Japon), la France, après avoir longtemps été le premier investisseur étranger dans ce pays, occupe désormais la septième position avec un volume d’investissements s’élevant à 3 milliards de dollars. Elle demeure cependant le premier investisseur de l’UE devant la Grande-Bretagne (2,2 milliards de dollars) et talonne la Chine d’une place (2,7 milliards de dollars) à l’échelle mondiale.
Plus de 300 firmes françaises sont implantées au Vietnam. La plupart d’entre elles appartiennent à l’aéronautique et l’aérospatial (EADS, Thales), les télécommunications (Alcatel-Lucent, SAGEM, France Télécom), le transport ferroviaire, l’environnement (Alsthom, OTV-Vinci, Veolia), les travaux publics (Bouygues Construction) et la grande distribution (Casino).
La présence entrepreneuriale française dans ce pays est considérée comme lacunaire au regard de l’importance des relations bilatérales de coopération. En effet, l’aide publique française consacrée au développement de ce pays s’élève à 220 millions de dollars par an. Elle l’une des plus importante du monde derrière l’aide publique japonaise.

La culture « fer de lance » du bilatéralisme

Mus par l’aspiration commune de la « diversité culturelle », Paris et Hanoi oeuvrent en faveur d’un monde multipolaire débarrassé d’hégémonismes. Cette vision partagée des relations internationales est confortée par le combat en faveur de la francophonie qui constitue sans doute l’un des piliers du lien culturel franco-vietnamien. Membre de l’OIF depuis 1979, le Vietnam s’est vu allouer d’importants budgets destinés à la promotion de la langue française. Ils ont débouché sur la concrétisation de projets majeurs tels que le Centre d’enseignement du français Asie-Pacifique à Ho-Chi-Minh-Ville et le Bureau régional Asie-Pacifique à Hanoi, inaugurés tour à tour en 1993 et 1994. Pays hôte du VIIème sommet de la Francophonie en 1997, le Vietnam a déployé des efforts significatifs en vue de la promotion de l’enseignement du français. Les étudiants de ce pays peuvent désormais apprendre le français en deuxième langue vivante, dès le collège ou à l’université. Des résultats encourageants ont été enregistrés depuis la fin des années 1990. Entre 2001 et 2004, quelque 31 000 Vietnamiens ont appris le français comme deuxième langue vivante dans le cadre d’une phase expérimentale A ceux-là, il faut y adjoindre les 3000 Vietnamiens qui étudient en France. En dépit de ces avancées, beaucoup d’étapes restent encore à franchir, car si les anciennes générations restent attachées au français, celui-ci décline face à l’anglais parmi les plus jeunes générations.

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Qu’il s’agisse du volet diplomatique, économique ou culturel, le bilatéralisme franco-vietnamien se caractérise par le poids de son histoire, sa densité et sa profondeur. Il pourrait probablement franchir une étape supplémentaire si les acteurs politiques et les opérateurs économiques des deux pays s’employaient à vaincre leurs réticences et leurs arrière-pensées respectives motivées par des considérations de distance, d’idéologie ou en raison de rancœurs historiques mal digérées. Les acquis de la coopération franco-vietnamienne sont tangibles, lui conférant une singularité propre. Mais au risque de tomber dans une certaine routine voire un statut quo, il est temps que Français et Vietnamiens impulsent un nouvel élan, plus audacieux et plus volontariste, à l’heure où les changements de la donne internationale et les incertitudes qu’elles font peser sur l’avenir du monde invitent à davantage de coopération et de solidarité.